Pascal ASTRUC, Sylvie
DINSE, Daniel PERE, Solange RIOUX
“La Libre Pensée française ne conçoit la laïcité que comme institutionnelle, c’est à dire codifiée juridiquement par la séparation des églises et de l’État.Elle nous semble consubstancielle à 2 autres notions : la République et la Démocratie.Pour autant, dans les pays qui ne sont ni des Républiques voire même pas des Démocraties, comment peut s’affirmer l’exigence laïque ?
Comment
aller de situations où il y a des concordats ou des religions d’État vers notre
Idéal de séparation des églises et de l’État en Europe et dans le monde ?La loi
de 1905 ne saurait être un modèle à prendre « clefs en mains », mais comment
peut-elle être une référence dans le combat international laïque de l’IHEU et
plus particulièrement du Comité International de liaison des Athées et des
Libres Penseurs ?”
La France est l’un des pays européens le plus diversifié.
Outre la religion catholique prédominante, elle a les communautés juive et musulmane les plus importantes d’Europe ; le plus grand nombre d’athées aussi (14% de la population pour 7% en Europe)
Pour être laïque, un Etat doit assurer la liberté de conscience et pas seulement la liberté de religion.
Il doit rendre effectives:
- la séparation des Eglises et de l’Etat
- l’égalité de tous les citoyens devant la loi ; si elle est réellement effective, elle règle le problème des minorités dont fait grand cas l’Europe non communautaire , active sur les questions de défense et des droits de l’homme ( OSCE, Conseil de l’Europe), observant en cela les préceptes de Montesquieu : « Dans quel cas il faut l’uniformité et dans quels cas il faut des différences […], lorsque les citoyens suivent les lois, qu’importe qu’ils suivent la même »
- la recherche de l’intérêt général
La laïcité à la française est-elle un laboratoire pour la séparation des Eglises et de l’Etat ? un modèle républicain pour la construction de l’Europe ?
1- La laïcité à la française,
Quelles ont été les étapes du
processus de laïcisation en France ?
· Avant 1905 :
Les mouvements religieux ont exprimé des opinions politiques.
Ø La France royale en est un exemple : la Réforme y est vécue comme une opposition à la monarchie centralisatrice en train de se créer. Les guerres de religion prouvent l’opposition à une intervention royale. Henri IV, avec l’édit de Nantes, tente d’apaiser la société. Il reconnaît des droits aux protestants. Louis XIV, en biffant la tolérance, veut appliquer « une loi, une foi, un roi » afin de renforcer la monarchie absolue. Il crée l’église gallicane. Elle ne se fera pas sans heurts : suppression d’ordres, expulsion de certains. Aujourd’hui encore des traits de cette organisation demeurent : CFCM, culte bouddhiste.
Ø La période révolutionnaire permettra à un grand rêve d’aboutir : la liberté de conscience.
- La Révolution française laïcisera l’état civil. Le mariage devient un contrat entre deux personnes et peut donc être rompu. Ce n’est plus un sacrement. Le divorce est envisageable. Mais en se heurtant à la religion, une opposition se crée autour des catholiques. Afin de protéger la Révolution, il faut créer une nouvelle religion civile : l’Etre suprême, à l’image de la religion civile américaine née de la Révolution de 1783
- Napoléon, quant à lui , en reprenant le Code civil, boute la religion hors du domaine civil. En compromis, il signe un concordat reconnaissant dans un premier temps seulement la religion catholique et les protestants. Les curés deviennent des fonctionnaires, mais il s’appuie sur l’Eglise gallicane de Louis XIV. Dans un second temps, il intègre la religion juive.
Ø La troisième République continue la politique précédente en l’accentuant. Trois épisodes peuvent être retenus :
- l’expulsion des congrégations en 1883
- les lois laïques
(cf site de la LP12 www.librepensee12.fr.st)
- le Premier novembre.
Cette date est retenue par la République comme le jour des morts ; elle est férié. Les catholiques la reprendront pour la sacraliser.
·
1905 :
Ø cf le texte de la loi sur : www.legifrance.gouv.fr/texteconsolide/MCEBW.htm
·
Ses limites aujourd’hui :
des indicateurs d’une séparation incomplète
Ø Des entorses à la loi :
- l’Alsace- Moselle
- Guyane, Mayotte
Ø L’ingérence de l’Etat dans l’organisation des cultes
- CFCM
- Par décret rendu en Conseil d’Etat et publié au JO du 8 janvier 1988 : reconnaissance légale d’une communauté monastique bouddhique installée en Dordogne
- Reconnaissance de l’Armée du Salut comme congrégation alors qu’elle ne dépend, en France, d’aucune autorité religieuse. La Fédération protestante de France s’est portée garante
- Par décret publié au JO du 15 octobre 1989, reconnaissance légale à la communauté monastique des carmélites de Compiègne
Ø La présence d’élus ou de fonctionnaires aux cérémonies religieuses (en lieu et place de cérémonies civiles) de commémorations
Ø Présence d’aumôneries dans le service public (hôpital, école, prison…)
Ø Pressions des groupes religieux dans le domaine public (école, hôpital, administration)
2- Dans les autres pays européens
Dans le processus précédent où
se situent les pays européens?
En partant du constat qu’il y a une tendance à la séparation Eglise/Etat, (la plupart des états ont des constitutions laïques)et un mouvement de sécularisation
Sécularisation :
affaiblissement progressif de l’emprise religieuse dans les pratiques de la vie
quotidienne.
Avec l’affirmation des états nationaux, l’Eglise est plus ou moins nationalisée, dès le XVI siècle. Le meilleur exemple en est l’Angleterre d’Edouard VIII où l’affirmation du pouvoir royal se fait au détriment (si l’on peut dire) de l’Eglise catholique. Le roi sécularise les biens de cette institution et crée une nouvelle religion. L’opposition anglican/ catholique dure jusqu’en 1684 avec l’Habeas Corpus.
La conversion des princes allemands à la Réforme entraîne celle de leurs sujets. Une loi, une foi, un roi est respectée bien avant que son auteur ne la mette en pratique en France. Les anabaptistes sont rejetés des zones germaniques et ne trouvent leur salut qu’en mettent un océan entre eux et leur ancien pays.
En 1783, les Américains des Provinces Unies optent pour une religion d’Etat qui peut être différente de celles du citoyen.
3- Qu’est-ce qui freine cette
séparation ?
Sur quoi s’appuyer pour la mise
en place du processus de séparation ?
En 1789, la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, reconnaît la liberté de conscience. Elle
affranchit le citoyen des Eglises. Chacun doit pouvoir disposer de références religieuses, spirituelles, non être
déterminé par elle.
Mais la liberté individuelle garantie par le droit peut conduire à l’individualisme : tendance à s’affranchir de
toute solidarité avec son groupe social. On peut le constater. L’autonomie qu’octroie le droit est proportionnelle
à une indépendance économique et sociale. Il
est impératif que
Ø L’émancipation laïque aille de pair avec l’émancipation sociale faute de quoi, les individus ne peuvent que se retourner vers leur communauté au prix de l’obéissance aux interdits et des obligations (ex français en banlieue, port du voile ; en GB : viols de fillettes ramenées des pays d’origine …)
Ø Le bien commun associe les droits et la solidarité redistributive (minimas sociaux, services publics)
(la loi 2004 comprend un volet social passé sous silence dans les médias)
La Laïcité est un
concept philosophique qui nous est familier car nous pouvons nous permettre de
philosopher. Avoir la possibilité de philosopher sous-entend la Liberté
:liberté de penser et liberté de s’exprimer
(« être capable d’une action délibérée » ).
Mais quel Homme, de par le Monde
va-t-il se soucier de ces Libertés s’il n’a déjà pas la possibilité de se
nourrir et de nourrir sa famille ?
La
première des choses à faire, si on veut que l’esprit des Hommes soit disponible
pour penser, c’est le délivrer des taches matérielles vitales.
Quand l’Homme aura un travail
dignement rémunéré, son esprit pourra penser librement. Aujourd’hui, l’immense
majorité de l’Humanité ne pense qu’à survivre.
« Que vais-je manger
pour ne pas mourir ? » est la première préoccupation.
C’est à nous, Libres Penseurs
des pays -somme toute- riches, de développer une solidarité [la Solidarité est
inséparable de la Laïcité] mondiale telle qu’elle pourra apporter au reste de
l’Humanité une raison de vivre et non plus une raison de survivre.
Pour faire découvrir la laïcité
à ceux qui, du fond de leur ghettos sociaux l’ignorent encore, il faut
combattre la fracture sociale, les injustices et l’exclusion au sein des
sociétés rongées par la misère, l’ignorance, l’inculture, l’obscurantisme et
l’absence de perspectives d’avenir pour des générations entières. L’inhumanité
d’un système économique et social capitaliste fondé sur l’injustice et le
profit génère des cohortes d’adeptes potentiels pour les intégrismes de tous
poils (religieux ou économiques).
Lorsque les Hommes pensent un
peu moins à leur estomac, qu’ils ne sont plus ni asservis ni assujettis, ils se
détournent de la croyance et ils se soucient un peu plus d’Éducation et de
progrès.
Alors, et alors seulement peut
se poser le problème de la liberté de conscience et donc de la laïcité.
Et s’il est vrai que la Laïcité
s’est enraciné dans un terreau républicain, force est de constater que dans
certains pays affublés de religion d’État ou de rois et reines, on respecte le
droit de penser librement.
La laïcité s’entend alors comme
la condition minimale à respecter entre la sphère publique et le domaine privé.
Pour promouvoir et maintenir la
paix sociale, la sphère publique, dans un souci de respect de Liberté,
d’Égalité, de Fraternité, de Solidarité se doit d’être laïque.
Chaque individu a le droit de
penser ou de croire, d’être libre ou soumis, de construire sa vie ou de la
subir, à condition de respecter les choix de son voisin.
·
au plan national
Ø défendre la loi de 1905, exiger son application (école, hôpital, prison…) et son application sur tout le territoire (voir § indicateurs d’une séparation incomplète ; manifeste LP)
Ø combattre les dérives (même §)
Ø être vigilant sur la formation des enseignants , (relativement au fait religieux ), faire pression sur les syndicats d’enseignants, les Mutuelles, les associations diverses liées à l’Education Nationale
Ø prendre sa place dans les comités d’éthique
Ø dans les médias
·
au plan européen
Ø imposer un contre lobbying à celui du Vatican
S’il est vrai que les démocrates chrétiens ont joué un rôle prépondérant dans la construction de l’Europe à ses débuts (Monet, Schuman, Adenauer, de Gaspari), cela n’implique pas que l’unité de l’Europe se fonde sur le christianisme, obligatoirement.
Avec « Pacem iteris », Jean XXIII reconnaît la liberté religieuse. Cela permet au Vatican, si le concept est repris , de recouvrer sa position dominante en religion. En devenant moteur dans le dialogue œcuménique , Jean – Paul II s’assure, lui, l’appui des Eglises pour la domination des consciences européennes : l’enseignement du Christ doit régir l’ensemble de la vie sociale
Paradoxalement,le Vatican est un Etat supranational, reconnu par l’ONU comme Etat territorial
Il fait de l’ingérence en portant un jugement sur une loi (sur les signes religieux)
Cela nécessite :
- de laïciser l’éthique, en en définissant une, cohérente , non religieuse
- enseigner la raison et la philosophie afin de s’affranchir puis de s’opposer au retour du religieux
- combattre l’article 51 de la constitution européenne
Ø construire l’Europe sociale
Ø établir des partenariats avec les associations laïques européennes
« C’est avant tout parce que les laïques ne sont pas suffisamment organisés et revendicatifs au niveau européen que l’idée d’Europe laïque ne parvient pas à avancer. » La FHE « rassemble tous les mouvements laïques européens, mais cette association est dominée par les groupes laïques d’Europe du Nord, ceux-là même qui se considèrent comme une communauté à part entière et qui conçoivent le combat laïque comme une lutte pour accroître leur autonomie en tant que communauté » (site perso ;wanadoo.fr/ union-rationaliste)
Laïques
européens et laïques français convergent sur la philosophie de la laïcité en
tant que morale et éthique de responsabilité.
Il faut d’abord :
v convaincre du bien fondé de la laïcité ; les colloques, les conférences y contribuent (ex Bordeaux), les communiqués
« Dans les pays anglo-saxons, ce sont les communautés qui forment l’unité de base de la société. Ces communautés sont organisées de façon autonome avec leurs propres écoles, leurs propres lieux de socialisation et souvent , leurs propres groupes de pression, voire leurs propres représentants politique… Accepter cela, c’est accepter de voir l’Europe transformée en un vaste champ ouvert à la compétition et à l’affrontement entre des groupes luttant pour défendre leurs particularismes. On est bien loin de la tradition républicaine de recherche de l’intérêt général…»
« Les tenants de ce modèle communautariste en font une alternative à la laïcité institutionnelle … Leur constat est que l’Europe est spirituellement diverse. Leur solution est l’institutionnalisation de cette diversité en donnant aux communautés les moyens légaux et financiers nécessaires à leur structuration et à leur développement » (site perso ;wanadoo.fr/ union-rationaliste)
Les
pays concordataires en sont à l’étape
napoléonienne(voir processus français).On peut espérer qu’une évolution,
semblable à celle qu ‘à connu la France, les conduisent à la laïcité
institutionnelle
v faire front ensemble ; lobbying auprès des instances européennes pour
- l’inscription de la laïcité dans les principes généraux du droit communautaire
- la défense des services publics
- la création de l’Europe sociale par la prise en compte des problèmes éducatifs et sociaux dans les traités européens
·
au plan international
Ø partenariats
rôle des Etats et des services publics
Ne devrait-on pas s’acheminer vers la constitution d’une nation européenne ?
sachant que la Nation est un ensemble d’hommes désirant vivre ensemble et s’en donnant les moyens en s’organisant avec des lois communes respectées de tous ?
Rodez, le 28 avril 2004